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Renaud Camus

Le Monde

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UN PASSÉ DE BANDES DESSINÉES [1976]

(Texte de Renaud Camus)

Renaud CAMUS, trente ans. Remarqué par Roland Barthes pour son premier roman Passage (1975, Flammarion, collection " Textes ") : " Un texte moderne qui requiert un nouveau mode de lecture ", dit Barthes. Cette année a publié Échanges (Flammarion, " Textes ") sous le pseudonyme d'un pseudonyme d'un personnage tiré de son précédent roman : Denis Duparc.

            A Malraux écrivain, je ne pense jamais. Quand j'avais quinze ans, ses livres souffraient auprès de moi d'un préjugé très défavorable, parce que tous mes camarades de classe les lisaient, autant et plus que ceux de Camus. Je me souviens de nombreuses vaines tentatives pour dépasser les dix premières pages de la Voie royale. Ou bien était-ce les Conquérants ? Sur le Chine de l'entre-deux-guerres, et sur la condition humaine, j'aime mieux lire le Lotus bleu, d'Hergé. Dans mon histoire personnelle du roman, et sous réserve de révision, toujours possible, il n'a aucune place. C'est un écrivain pour les gens qui n'aime pas la littérature.

           Non, ce que j'aime de lui, peut-être, ce sont quelques photographies fanées, en partie imaginaires, entre les ruines, entre les jungles. Et qu'il ait été, avec son passé de bandes dessinées, ses tics évocateurs de drogue mystérieuse, ses effets de mèche, et son lyrisme dément au bord des tombes, l'élégance, la coquetterie, la provocation, fausse, bien sûr, mais tout de même stupéfiante, d'un régime de respectable ancien combattant et de promoteur immobilier : toutes les apparences de la folie au cœur même du pouvoir.

Camus, R. (1976). Un passé de bandes dessinées. Le Monde du 27 novembre 1976.

bandes desinées

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L'EMPRISE DU "DISCOURS MOYEN" [1983]

(Texte de Renaud Camus)

La littérature dans tous ses états : Ce qu'en pensent huit romanciers.

"Y a-t-il vraiment une crise de la création romanesque en France ? Pourquoi écrivez-vous des romans ?"

            Crise de la création ? C'est possible, mais elle ne peut pas être dissociée d'une crise culturelle plus vaste, qui tient à l'emprise, chaque jour aggravée, sur la vie intellectuelle du "discours moyen", celui de la classe culturellement dominante, hégémonique, qui coupe tout ce qui la dépasse, taxe de "terrorisme" tout ce qui permet de parler et de penser autrement qu'elle et déclare mort ce qui ne lui revoie pas l'écho rassurant de sa propre voix. Il faudrait parler ici de la responsabilité des critiques, ou de ce qu'il en reste, qui se contentent, en leur majorité, de servir de porte-plume aux cadres moyens qui les lisent. Le fameux "retour du romanesque" est très déplaisant par ce qu'il véhicule d'obscurantisme satisfait et de reniement d'une période de recherche dont la fécondité apparaîtra bientôt.

           Cela dit, il est en soi tout à fait positif. Le romanesque aide à vivre. Il est le tissu dont est faite la vie. Les sociétés sans romanesque sont sinistres

***

           J'écris des romans parce que, me semble-t-il, c'est le genre qui comprend tous les autres. La fiction pose la question du "qui parle ?", et met toujours en branle, peu ou prou, l'identité, y compris celle de l'auteur. Elle fissure le je si assuré de l'homme politique, du militant, de l'historien, de l'essayiste, et le nôtre.

Camus, R. (1983). L'emprise du discours moyen. Le Monde du 14 avril 1983.

disocus

UN ÉPUISANT DÉSIR DU GERS [1996]

(Texte de Renaud Camus)

MONUMENTS et sites ne sont jamais trop pour notre désir, pour notre ardeur à voir, à connaître, à fendre l'air et battre la campagne ; mais ils sont trop pour notre temps, bien souvent. Concocté par l'amateur passionné, par le marcheur, le regardeur, l'arpenteur de la terre, le débusqueur de pierres et de meneaux bouchés, tout itinéraire doit s'entendre, dès lors, avec ses notes en bas de page, ses chemins de traverse, ses ajouts inouïs, ses curiosités secondaires et ses tentations de variantes, en harmoniques musicales dans l'air…

 

A Lectoure, néanmoins (où l'on peut loger à l'hôtel de Bastard, un superbe édifice Louis-XVI), à Lectoure il faut voir Lectoure, l'ensemble, je veux dire, les approches, les points de vue, l'assise, les terrasses sous le ciel et les jardins secrets la Vierge au bananier dans une cour de couvent, un salon de musique octogonal qui dépasse d'un mur ou le petit cimetière des tirailleurs sénégalais ; mais d'abord la magnifique cathédrale, il va sans dire, et collé à elle, le très élégant hôtel de ville, ancien palais épiscopal. Là, échappée de l'exposition Miro au château de Plieux, la Jeune Fille s'évadant se repose un moment, jambes croisées aux talons, assise sur le vide, au beau milieu de la salle des pas-perdus.

Par le splendide escalier classique, il faut gagner la salle des Illustres, ouverte sur toute la Gascogne, en contrebas (et parfois sur les Pyrénées). Surtout, dans le même bâtiment, il faut descendre jusqu'à l'étonnant musée, absurdement peu connu alors qu'il est l'un des plus riches d'Europe en autels tauroboliques, et que c'est, comme Lectoure, l'un des hauts lieux du culte de Mithra.

Droit au nord. Dans le château de La Cassaigne, à Saint-Avit-Frandat, la salle du Conseil des Chevaliers de Malte est une réplique plus véridique que nature et que l'original, puisque celui-ci a disparu, dans Malte, ou du moins ne vaut guère mieux ; tandis que Sainte-Mère tout voisin, sur la route nationale, c'est le château château, la pure idée de château, le château réduit à l'essence, ruinatique, minimaliste et impeccable : on ne visite pas, que je sache, mais on observe très bien. Quant au village de même nom, il n'usurpe en rien sa noble position de premier village du Gers, quand on arrive d'Agen, de Bordeaux ou de Paris : admirable portail d'église, par exemple.

Maintenant vers l'est : c'est quitter les sentiers battus, je vous préviens. Le maire de Castet-Arrouy aime beaucoup les drapeaux, et plus encore son église, qu'il vient de faire restaurer à grands frais : or, c'est une démarche originale, car elle est purement XIXe , au moins à l'intérieur, et cette époque-là n'est guère habituée à recevoir tant d'égards. Il est vrai que s'est dépensé dans le choeur un Prix de Rome, le Lectourois Lasserand, peintre au génie pâlichon, sans doute, mais décorateur au prolixe talent, ami des chimères et des vrilles, des feuilles d'acanthe et des ombres portées.

Faites deux ou trois détours pour Gachepouy, très noble ruine sur un modeste piton ; pour Fieux, sous Miradoux, qui conviendrait idéalement, tant son éclectisme Napoléon III semble anglais, au Petit Lord Fauntleroy ; pour Rouillac, belle grosse tour, belle grande cour, jolie église, joli hameau sérieusement gâché par une neuve maison blanche, en dessous de lui. Dans ces parages, cherchez Le Clos si vous voulez, curieuse maison Janus, plutôt périgourdine d'un côté, lointainement palladienne de l'autre. Rien de tout cela ne se visite, mais qu'importe ?

Au château de Plieux, en revanche, " Miro, les dernières années " : de grandes sculptures, des toiles et des encres. A l'occasion des Journées du patrimoine, l'entrée sera gratuite pour les moins de dix-huit ans, selon les instructions de la Demeure historique ; et le public pourra voir ce qu'il ne voit pas d'habitude, tout le deuxième étage, La Salle des Vents, de Jean-Paul Marcheschi, la bibliothèque, la plus grande chambre.

Gramont, à deux pas (bien que dans le Tarn-et-Garonne), est le plus beau château de la Lomagne. On peut s'y restaurer à la ferme-auberge attenante, Le Petit Feuillant. Mais avant d'atteindre à ces plaisirs, je recommanderais encore un détour, cette fois jusqu'à l'église de Lachapelle (de Plieux, on peut s'y rendre par Miradoux et Flamarens encore un magnifique château). Elle a l'air d'assez peu de chose, de l'extérieur. A l'intérieur, elle est proprement stupéfiante. En un espace ramassé, c'est l'une des plus baroques églises baroques de France ; et les trois rangs de loges y mènent un virevoltant sabbat.

A NE PAS MANQUER Cahors (Lot) Clément Marot Soirée lecture à la bibliothèque municipale, le 14 septembre, à 20 heures. A la chapelle du lycée Gambetta, exposition : " Cahors au temps de Clément Marot ". Tél : (16) 65-53-20-65. Tarbes (Hautes-Pyrénées) Théophile Gautier, Jules Laforgue, Lautréamont Promenade et visite, le 14 septembre, sur le thème " Patrimoine et écrivains ". Tél : (16) 62-51-30-31. Sainte-Eulalie-de-Cernon Café littéraire, le 14 septembre, sur le thème " Templiers et hospitaliers ". Tél : (16) 65-62-72-99. Monréal-du-Gers Villa gallo-romaine de Séviac Visite guidée sur le thème " La villa vue par la littérature antique ". Tél : (16) 62-29-48-57. Versols (Aveyron) Visite du château à travers Flamenca, roman occitan du XIIIe siècle. Tél : 65-99-08-84. DRAC, tél. : (16) 62-30-31-00.

Renaud Camus

Camus, R. (1996). Un épuisant désir du Gers. Le Monde du 13 septembre 1996.

GRS

POLITIQUE : UN NOUVEL OSTRACISME [1996]

(Texte de Renaud Camus)

Ce qu'il y a d'extraordinaire dans le révoltant projet du RPR d'exclure de ses listes les candidats éventuels de plus de soixante-quinze ans (et bientôt plus de soixante-dix !), ce n'est pas tant qu'il soit révoltant (il y a longtemps qu'on sentait se préparer quelque chose comme cela, et pas seulement sur ces bords-là), c'est qu'il ne suscite aucune révolte.

Attendez : il s'agit rien de moins que d'exclure presque officiellement de la vie publique, et de priver d'une part essentielle de leurs droits civiques, des hommes et des femmes qui par leur nombre (et par leur expérience) représentent une catégorie importante de la population française. Or ce nombre ne cesse d'augmenter, en proportion et en quantité absolue. Est-ce au point d'effrayer ?

On ne cesse de nous dire - et nous ne cessons de constater, par chance - que les progrès de la médecine et de l'hygiène générale d'existence reculent continuellement les limités des périodes de pleine aptitude à la vie, au loisir et à la pensée. Vieillesse et sénilité surviennent de plus en plus tard. Et c'est précisément dans cette situation qu'au-dessus d'un certain âge on serait, non pas individuellement mais en masse, déclaré inapte à participer à la vie du pays ? Est-ce que les grands électeurs ne sont pas assez grands pour juger eux-mêmes, au cas par cas ? A moins qu'on ne leur interdise aussi de voter au-dessus de soixante-dix ans ?

Qu'une mesure aussi parfaitement révoltante puisse être prise ou seulement envisagée sans susciter la moindre réaction prouve un état de catatonie morale et démocratique que dissimule mal l'extrême sensibilité affichée, jusque dans les purs tics de langage et la routine idéologique, sur les questions de race et d'origine.

Est-ce que la vigilance affichée d'un côté implique le total relâchement du jugement sur tous les autres ? Est-ce qu'il n'y a qu'une quantité constante de vertu, qui lourdement étalée sur un bord, ferait aussitôt défaut sur les autres ? Est-ce que les mots si étroitement surveillés en matière de races (malgré quelques sensibles relâchement ici et là) ont du coup toute licence s'agissant de l'âge ? C'est bien ce qu'on semble constater tous les jours et les citoyens de plus de soixante-quinze ans, ou de soixante-dix, ou seulement de soixante, sont confrontés continuellement à des expressions et à des attitudes qui vaudraient à leurs auteurs, si elles visaient les Noirs, les Arabes ou les Juifs, à défaut la correctionnelle, la réprobation (presque) générale.

Renaud Camus

Camus, R. (1996). Politique : un nouvel ostracismeLe Monde du 13 novembre1996.

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"JE NE REGRETTE PAS CES PROPOS QUE JE NE CROIS PAS CRIMINELS" [2000]

(Propos de Renaud Camus recueillis par Alain Salles par courrier électronique)

Alain Salles - Vous dites que vous n'êtes pas antisémite. Mais compter le nombre de juifs dans une émission de radio, mettre en doute leur possibilité de parler de la culture française, comment appelez-vous cela? Vos propos page 329, sur les "principaux porte-parole, et organes d'expression" qui sont "dans de très nombreux cas, une majorité de juifs"  dépassent la réaction d'humeur a une simple émission.

Renaud Camus - Permettez-moi de vous faire remarquer que la plupart de vos questions présupposent leurs réponses et considèrent comme acquis nombre de points qui ne le sont pas du tout. Ils ne le sont pas auprès de mes lecteurs réguliers, en tout cas, que deux mois de campagne contre moi n'ont pas pu convaincre un seul instant que j'étais antisémite. Ce point est peut-être digne de considération. Mais bien sûr je ne peux pas demander à vos lecteurs à vous de lire quarante livres, ni même trois ou quatre...

Je n'ai jamais si peu que ce soit mis en doute la possibilité de journalistes juifs à parler de la culture française, à la comprendre ou à l'aimer. Jamais, jamais, jamais. Dans le flux  de pensées parfois déplaisantes que reflète scrupuleusement un journal tel que le mien, je me suis demandé ce qui m'agaçait certains jours dans la façon dont certains journalistes juifs parlaient de certains aspects de la culture française. Leur judéité? Non, cette hypothèse est écartée dès la page suivante. Le fait qu'ils soient des Français de "première ou deuxième" génération? Non. En l'occurrence c'était plutôt une inadéquation d'ordre social. «Une intimité très marquée avec le faubourg Saint-Germain du petit Marcel, le profond de la campagne française n'y préparerait pas davantage.» Voilà la conclusion de la p. 330.

Ce n'est pas une conclusion "sympathique",  mais elle n'est pas criminelle. Mon ennemi depuis toujours, c'est "l'idéologie du sympa". Et rien n'est vain comme ces journaux intimes où l'auteur ne se montre jamais que sous le meilleur jour. Mes propos sont peut-être "dangereux", mais c'est avant tout pour moi. La preuve. Et c'est moi que je traite le plus mal. Et c'est à moi que je pose, par scrupule, les questions les plus embarrassantes, bien avant vous. Par exemple : est-ce que je ne serais pas un peu antisémite, pour parler si librement de journalistes juifs ? Et la réponse est non.

AS - Vous êtes aussi hostile au métissage, à l'idéologie dominante de l'antiracisme. Vous estimez que "des musulmans ne sauraient être tout a fait français", au nom de la culture et de l'expérience française. Proust et Bergson appartiennent aussi a "la France de Charles d'Orléans, de Marivaux". Cette défense de la culture française doit-elle passer par des propos racistes ?

RC - Non, je ne suis pas "hostile au métissage". Je m'interroge  sur le consensus à propos du métissage comme valeur universelle, dans la mesure où il impliquerait à terme un monde où nous serions tous semblables, où il n'y aurait plus de différences, plus d'ailleurs, plus d'étranger. Ce dont j'ai le goût, je l'ai écrit cent fois - mais j'ai trois mille lecteurs et la presse en a des millions -, c'est de l'étranger, et de cette étrangèreté, cette lontanenza, qui est selon moi le caractère même de l'art. Et je me demande pourquoi il est nécessaire de mentir en faveur du métissage, comme lorsque on prétend que seules les sociétés métissées ont produit un grand art ou un grand art de vivre - ce qui bien entendu ne tient pas debout historiquement. Mais ça ne prouve rien contre le métissage.

Je ne suis pas "hostile à l'idéologie dominante de l'antiracisme". Je me réjouis qu'elle soit dominante plutôt qu'une autre, mais je m'interroge sur les dangers d'une domination trop extrême, qui écraserait de la vérité - laquelle est toujours objection à ce qui domine trop, scrupule, reste du sens.

"Des musulmans ne sauraient être tout à fait français" en un sens archaïque du mot "français" qu'eux-mêmes comprennent parfaitement quand ils parlent des "Français" pour désigner ce qu'on ne peut plus appeler les "Français de souche". Or ce sens-là de français est périmé - eux, moi et vous je suppose sommes d'accord sur ce point.

Quant à Proust et Bergson, vous avez l'air de me prêtez des opinions qui sont des caricatures indignes du Monde. Proust, Bergson, Marc Bloch et des dizaines d'autres sont au coeur du coeur de la culture française. Dans le cas de Proust je parle même de "l'épicentre".
 

AS - Votre éditeur habituel vous a fait supprimer ces passages dans P.A., il a refusé de publier le journal en l'état. Pourquoi les avoir maintenus? Regrettez-vous de les avoir écrits et publiés ? Etes-vous prêt à supprimer tous ces extraits en cas de reparution?

RC - Il a refusé de les enlever lui-même comme je l'y invitais, disant que ce n'était pas son rôle, ce que je comprends et respecte. Ce n'est pas mon rôle non plus. Je ne les regrette pas, je ne les crois ni criminels ni fondamentalement inadmissibles dans leur contexte originel. Mais la preuve est faite qu'il ne peuvent pas être admis par les pouvoirs médiatiques. Le paradoxe est qu'il ne sont nullement essentiels à mon propos, au sein duquel ils tiennent une place infime, en proportion. Les ayant écrits je n'avais pas de raison, moi, de les supprimer. Mais si un éditeur veut le faire, libre à lui. L'orientation des programmes du Panorama en 1994, je n'y pense pas tous les jours. Ce qui compte est la spirale du sens, son flux, ses reflux, ses méandres, ses audaces, ses scrupules - ce qu'une société purement journalistique peut le moins appréhender, car tout extrait est assassin. Mais quelques retraits...

 

Camus, R. Salles, A. (2000). Je ne regrette pas ces propos que je crois pas criminelsLe Monde du 1er juin 2000.

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