Les romans
Roman Furieux
Si Roman Roi était en quelque sorte La Chute, Roman Furieux serait Après la chute. Le Roman qu'on a vu régner tant bien que mal, parmi les intrigues, les drames, les passions et les crimes, sur ce royaume obscur et menacé, la Caronie, voici qu'il a maintenant perdu son trône (1948). Il pourrait perdre bien autre chose, l'amour, une certaine idée de soi, la foi, l'espérance et la tête ; et devenir ainsi, comme le Roland de l'Arioste, proprement fou furieux. S'éloignant toujours plus de sa patrie, de la femme qu'il aime, de son rôle, de son destin et de lui-même, il n'a plus pour histoire qu'une errance de tous les exils. Du moins le mène-t-elle, à travers les lieux les plus beaux, Athènes, Ravello, Florence, Paris, l'Auvergne, les côtes de Cornouailles ou celles de Galice, les hautes solitudes de la Castille romane ou les jardins du Portugal. Il ne peut se retrouver, ou se perdre définitivement avec elles, que dans la métropole des illusions, Hollywood. Ce ne sera que l'avant-dernière étape.
Voyageur en automne
Un homme en recherche un autre, mort et qui autrefois écrivit. Cela se passe en Europe centrale, en Caronie, dans la défaite de l’Histoire, la ruine des valeurs et des choses, dans le froid. Mais ce qui pourrait bien être une recherche des origines, mélancolique, érudite, rêveuse, ou un tendre et grave apologue de l’amitié, offre aussi parfois les apparences ludiques d’une enquête policière à rebondissements, d’une bande dessinée au détour de laquelle Tintin pourrait bien surgir, d’un divertissement – d’un divertissement ?
Le Chasseur de lumières
Lesquère, un château en Gascogne. De l’autre côté de la rivière et de la vallée, un autre château, qui depuis toujours regarde le premier. Dans ce paysage apparemment tranquille est projeté le jeune Vincent, après qu’il a fait la connaissance, à Toulouse, une nuit, à la Prairie des Filtres, du comte Adam Wloszczowiecki, châtelain désargenté, rugbyman modèle et agriculteur accablé. Mais c’est avec toute une étrange famille que le garçon inaugure une étrange liaison. Eux prétendent le révéler à lui-même. Il a la passion de la lumière, telle qu’elle varie sans cesse, sur la campagne. N’y aurait-il pas là de quoi faire un artiste? Ou bien si c’est compter sans l’ombre, et sans les hommes de l’ombre? À l’instar des plus classiques récits, cette manière de roman de formation voit se contempler, souvent sans qu’ils se reconnaissent, les pères et les fils, le levant et le couchant, l’évidence et le secret, le passé et le présent, la plus vieille Europe et le continent noir, tout ce qui tombe avec ce qui pourrait, peut-être, s’élever on ne sait comment vers l’inconnu.
L'Épuisant Désir de ces choses
La vie de Jean Deladevèze, éditeur parisien, est bien remplie : il a une épouse qu’il accuse d’être parfaite, quoiqu’elle veuille faire venir vingt-cinq pygmées en Haute-Auvergne ; un fils qui prend trop à cœur le sort du peuple tibétain ; un autre fils amoureux et malade ; une fille dotée d’un petit ami noir, et qu’il trouve exaspérante à force d’être universellement bien pensante. Il a deux châteaux qu’il ne sait comment entretenir, un banquier qui le harcèle, et un ami qui prétend que les visages sont l’écriture de Dieu. Et comme si tout cela n’était pas assez, il a encore sur les bras un manuscrit dont il ne sait que faire, l’Opus Niger. Mais rien de tout cela ne peut assouvir son désir infini, épuisant, ce désir d’ailleurs, de lieux, d’êtres que l’on ne connaîtra jamais.
Loin
« Circonscrire autant que possible les ambitions. Tordre le cou aux espérances. N’attendre rien. Rabattre tout futur, en permanence, sur le moment présent. Habiter l’instant. Être là, très là. Et d’autant plus vivant qu’à demi mort, déjà. »
C’est par ces mots que se termine le nouveau roman de Renaud Camus. On pourrait y voir du désenchantement et on n’aurait pas tort. Mais on n’aurait pas non plus totalement raison. Disons que ce livre tout entier se situe sur cette frontière de la sagesse. Il met en scène un homme contraint de vendre la propriété familiale dont il est le dernier occupant et qui en profite pour partir. Pour partir « loin », le plus loin possible d’une civilisation qu’il déteste dans un monde qu’il aime trop. Il aboutira dans une île proche des côtes anglaises totalement seul, mais il aura auparavant pu au cours d’un long et beau voyage vers le retrait, vérifier sa détermination. Notamment quand sa route croise celle d’une jeune femme qui va pour un temps devenir sa compagne. Celle-ci, au fond, malgré sa séduction réelle et sa sensibilité, représente tout ce qu’il désire quitter : tant au plan de son comportement qu’à celui de ses goûts ou de ses idées.
Ce roman, le premier depuis longtemps que nous donne Renaud Camus, s’il ne se refuse pas les péripéties dramatiques (nous y lirons une libre transposition d’une affaire criminelle récente) ou amoureuses propres au genre, et s’il les conduit avec maîtrise, vaut aussi pour toutes les formidables descriptions de paysages et d’atmosphères qu’il contient, pour les réflexions qui s’y mènent sur la désagrégation de la culture, l’évolution des comportements et du langage. Il est riche, drôle, triste, et enthousiasmant.